BENEATH THEM
Plus d’une heure… Cela faisait à présent plus d’une heure qu’ils étaient immobiles dans la petite chapelle, dans la même position, silencieux. Le silence. L’endroit était adapté pour le silence. Il appelait au silence, exigeait presque le silence. C’était écrit quand on pénétrait dans l’endroit religieux, « veuillez respecter le silence et le recueillement dans ce lieu ». Recueillement ? Etaient-ils en train de se recueillir ? La question pouvait légitimement se poser. La réponse était par contre moins évidente. Peut-être finalement. Ou peut-être pas. Qu’est-ce que se recueillir ? Tout dépend comment on appréhendait le verbe, si on l’entendait dans un sens religieux ou non. La religion. Avait-elle une signification pour elle ? Elle portait une croix autour de son cou certes, et alors ? Il était courant de voir les gens porter des croix dans cette petite ville. Cela ne voulait rien dire. Même sa meilleure amie, de confession juive, en avait accroché une dans sa chambre. Alors, une fois encore, la question n’était pas stupide et elle méritait d’être posée. Et pour lui, la religion était-elle importante ? Sans aucun doute. On ne se réfugie pas dans une chapelle pour y compter les cierges ou pour vérifier que les vêpres ont bien eu lieu avant les complies. Ca, on le sait quand on le vit.
Il était allongé par terre, sur le dos, et on pouvait voir des brûlures sur son torse et sur ses bras. Elles étaient là pour lui rappeler qu’il n’avait rien à faire ici et qu’il n’aurait encore moins dû se reposer sur ce grand crucifix. Se reposer. C’est ce qu’il souhaitait à présent. Il voulait que les voix le laissent en paix, il voulait pouvoir la regarder en face sans ressentir toute cette culpabilité et cette peine, il voulait en finir. En finir avec quoi ? Après tout, il n’avait qu’à s’en prendre à lui-même. Personne ne lui avait rendu son âme par pure charité –ou par pure pénitence plutôt- Il l’avait voulue, l’avait réclamée, s’était battu pour elle et il avait réussi les épreuves. On avait accédé à sa demande, on l’avait rendu « comme il était avant ». Avant quoi ? Quand on est un vampire, il y a forcément un avant et un après ; non, il y en a plusieurs, il en était convaincu à présent. Il semblait dormir mais il ne dormait pas et elle le savait. Il souffrait, physiquement et moralement mais il avait une excellente et naturelle propension pour cacher les choses, dissimuler ses sentiments. Seulement, depuis quelques temps, il n’y arrivait plus, on ne lui en laissait plus l’opportunité. Elle était assise sur le rebord de l’autel, la tête enfouie dans ses genoux repliés contre sa poitrine. Quand elle l’entendit murmurer puis finalement parler à haute voix, elle releva la tête et écouta, les larmes encore visibles sur son visage.
-Shh, tais-toi et laisse-moi…, murmura-t-il avant de se mettre à crier et la faire sursauter, tu entends ? Tais-toi ! Je ne veux plus t’entendre !
-Je n’ai rien dit Spike…, réussit-elle à articuler des sanglots dans la voix.
-Je n’irai pas de toute manière… Je ne viens pas, tu entends ? Je reste ici, c’est ici chez moi…, continua-t-il ignorant ses paroles.
Elle se leva et fit quelques pas dans sa direction, chancelante. Quand elle vit les marques sur son torse, elle porta sa main sur sa bouche et étouffa un autre sanglot. Elle resta un instant immobile tout en le regardant puis, lentement, elle s’agenouilla près de lui.
-Spike…
-Il fait sombre ici, déclara-t-il à personne en particulier.
-Spike, écoute-moi, insista-t-elle. Mais quand elle lui effleura le bras, il se mit à réagir soudainement et il se leva d’un bond.
-Me touche pas ! Noli me tangere… C’est ce qu’Il lui a dit, à elle, dit-il dirigeant son regard vers le Christ qu’on pouvait voir sur l’autel.
Elle recula d’un pas et se mit à frissonner regrettant par la même occasion d’avoir laissé sa veste à Ronnie. Mais il en avait besoin, se rassura-t-elle mentalement, il était nu, blessé et vulnérable. Elle regarda à nouveau Spike et sa dernière pensée trouva un écho devant la vision qu’elle avait devant elle, lui aussi semblait nu, blessé et vulnérable. Pas de la même manière, c’est sûr mais il avait visiblement besoin d’aide, il avait l’air d’avoir autant besoin d’aide que Ronnie. Des bribes de leur conversation décousue d’il y a une heure lui revinrent comme un boomerang.
-Aide-moi !, lui avait-il crié dans un moment de désespoir et d’une certaine déstabilisation.
-Ce n’est pas toi qui as besoin d’aide, lui avait-elle répondu sèchement avant de reporter son attention vers l’homme allongé sur le pavé, en état de choc.
Elle s’était trompée, malencontreusement trompée. Il avait besoin d’aide. De son aide ? Et quelle aide ? Spike paraissait si différent d’Angel quand ce dernier avait récupéré son âme.
Il recommença, il se mit à déblatérer des propos incohérents, semblant tantôt s’adresser à personne en particulier, tantôt s’adresser à des gens que visiblement lui seul pouvait voir.
-C’est en moi. Au plus profond de moi, c’est enfoui au plus profond de moi… Si seulement – si seulement… Si seulement, quelqu’un – Non, y’a personne, y’a personne ; y’a persoooonnnne ! Chut ! Tais-toi ! Pourquoi est-ce que tu cries ? Pas besoin de crier. Tu es là. Je t’entends. Ne crie pas !!!, cria-t-il avant de regarder Buffy et se diriger vers elle. Elle recula, visiblement apeurée. La peur, un sentiment tellement familier.
-N’aies pas peur chaton… Plus de torture mentale. L’étincelle. Ils m’ont mis l’étincelle et la lumière est là. Elle a jailli, elle est là, elle est chaude. Non, elle est brûlante. Elle me brûle. Mais pas mal. Pas de souffrance. Plus de souffrance. Hein amour ? Plus de souffrance…
-Spike… Tu m’écoutes ?, tenta-t-elle alors qu’il semblait qu’elle avait enfin toute son attention.
-Je t’entends chaton… Pas de besoin de crier, je t’entends…
-D’accord. Spike… Ce n’est pas parce que tu as récupéré ton âme qu’on va reprendre notre relation, tu es conscient de ça, n’est-ce pas ? Enfin, si on pouvait appeler ça une relation… C’est un peu plus compliqué que ça, tu comprends ? Tu m’as blessée et je… je, je suis un peu perdue avec tout ça, hein ?
Il fit encore un pas vers elle et elle recula à nouveau. Il la regarda dans les yeux en même temps qu’elle baissa les siens, incapable de le regarder en face.
-Elle doit lui pardonner. Tout le monde doit finir par pardonner et aimer. Elle doit l’aimer, il finira par être aimé. C’est écrit…, déclama-t-il à nouveau.
-Spike, il faut que j’y aille. Dawn doit m’attendre et elle va s’inquiéter…
-Dawn, l’aube… Crépuscule ? Pas pareil. L’aube est encore loin, il fait nuit, tout est noir et sombre…
-Qu’est-ce que tu racontes Spike ? Dawn, je te parle de Dawn, ma sœur… Elle m’attend, j’y vais. Je- je… Bonsoir Spike.
Sur ces mots, Buffy recula et quand elle se cogna contre la première rangée de chaises, elle tourna les talons et sortit en courant de la chapelle. Elle ne cessa de courir que quand elle finit par atteindre le porche de Revello Drive. Elle reprit son souffle et s’apprêta à rentrer chez elle. Elle hésita et fit le tour de la maison avant de s’asseoir sur les marches du porche, scrutant le jardin et écoutant le chant des grillons qui résonnait dans sa tête lui donnant étrangement la nausée et un mal de tête sourd et paralysant.
Spike resta interdit un instant une fois qu’il se retrouva seul dans la chapelle. Il regarda la porte restée ouverte de la petit église et murmura doucement :
-C’est ce que tu voulais, non ? Mais, du plus profond des ténèbres, il s'apprête à tout dévorer... Le pouvoir. C’est de pouvoir qu’il s’agit. Bonsoir et bonne nuit amour. Caresses à la demi-portion…
Il sortit de la petite chapelle et se dirigea comme un automate en direction de Revello Drive, au 1630. 1630, Revello Drive, c’est là qu’il se rendait. Au même moment, à la même adresse, Dawn sortit sur le porche arrière de la maison et poussa la porte quand elle aperçut au travers sa sœur, assise sur les marches, le regard dans le vide. Elle ne lui dit rien, ne lui demanda rien, pas encore. Elle ôta son gilet et le mit sur les épaules tremblantes de sa sœur avant de s’asseoir à côté d’elle, la tête sur son épaule.